Deux pour dire
#3 Paléontologie / Grande Galerie de l’évolution (Paris, 75) / Vendredi 26 avril 2024
Photographie : Bruno Dubreuil
Poétesse : Isabelle Paquet
On est nombreux ici, non ? Moins qu’eux ? Si. On est quand même nombreux. Nombreuses. Des familles aussi. Beaucoup de grands-parents avec leurs petits-enfants. Les vacances ? Et eux ? Ah eux ? Oui, eux qui nous ignorent, ils sont vraiment nombreux, 6000 spécimens et certains sont grands. Plus grands que nous, bien plus grands que nous. Sauf Lucy, unique bipède, étonnamment petite, enfin sa reconstitution. Lucy ici a la taille d’une enfant, de longs poils noirs et des yeux de verre qui crûment posent en silence l’unique question ; qui est la plus humaine de nous deux ? Moi il y a une éternité ou toi aujourd’hui ? Et eux, donc, les bien plus grands que nous, les immenses qui ont été vivants nous toisent et nous on crie, on gesticule pour prouver que si, on est vraiment vivants, nos os bien planqués sous des couches de tissus, chairs, muscles, liquides souvent rouges. Si les leurs l’étaient aussi, c’était à l’abri, dans le secret du noir d’il y a quelques millions d’années, mais désormais leurs os sont à poil. Nous, debout, os verticaux, articulés, reliés par un système de tendons et de ligaments complexes, eux tonne d’os calcifiés, fossilisés, font squelette nu et asexué. Socles, prothèses et attelles vous permettent de passer de l’état de sommeil aux 3D pour habiter notre espace et notre temps. Carcasses. Immobilisés plus qu’immobiles, quasi inamovibles. Bridées à jamais. Os, flopée de virgules, ponctuations incompréhensibles, nous vous regardons, vous admirons, nous nous esclaffons comme devant les tableaux d’une galerie du Louvre. Est-ce que vos traces concrètes, oh combien tangibles du lointain passé nous permettent de mieux articuler notre présent ? Sortons, Lucy in the Sky with Diamonds cavalant librement dans nos têtes, retournons à nos solitudes et léchons une glace à l’ombre d’un tilleul.