Résidence d'écriture - Jour 2
[Journal de résidence écriture Besançon - Jour 2 Mardi 18 février 2025]
Après la matinée qui a filé à toute allure, le déjeuner du midi englouti à toute berzingue, quelques fous rire sans objet particulier sauf l’envie de le partager avec Dolorès, Annabelle en stage et ma camarade « Chiloé » Nora, c’est le moment déjà attendu et ritualisé du recueillement dans la salle du CDI, salle au bienheureux nom sans acronyme : Parenthèse. Au bout du couloir à gauche, je pénètre dans l’antre du bien-être. Ici pénombre, bouilloire, friandises, lunettes de luminothérapie, canapé, livre sur le no-stress et des prospectus sur l’empathie et la concentration constituent la scénographie. Financée à hauteur de 3000€ par le dispositif Nèfle, le lycée Victor Hugo honore en précurseur la Grande Cause Nationale 2025, la santé mentale. Non que la mienne soit particulièrement atteinte (je me contente d’une névrose allégée par des années de psychanalyse) mais comme le clame le dicton « il n’y a pas de mal à se faire du bien », et puis j’ai bien besoin de ce temps là pour me requinquer avant d’accueillir une trentaine d’élèves inconnus et qui me regardent comme si j’arrivais de la planète mars avec ma résidence de poétesse. Je m’installe pour le deuxième jour consécutif sur le fauteuil noir qui masse. Si si, après avoir appuyé sur le bouton « relaxe » de la télécommande des boules me malaxent le dos et des coussins d’air m’enserrent et me desserrent les jambes comme des vagues pendant 15 minutes. Je suis alors transportée en classe business d’une salle d’aéroport en attente de ma correspondance pour le royaume d’Oman.
Les 30 et plus de la classe de 1ère arrivent, gais et bien vivants. Une impression de beaucoup de garçons, mais peut-être que simplement ils occupent plus de place sonore que les filles plus discrètes, et probablement bien fatiguées de cet excès de testostérone habituel.
Mon cours « magistral » sur la poésie contemporaine consiste à recueillir les paroles des élèves sur les codes de la poésie traditionnelle, à les écrire au tableau puis à tout crabouiller en hurlant : la poésie contemporaine s’affranchit de tout ça.
Il y aura aussi d’un chœur improvisé sur « Le corbeau et le renard » où le fromage est assimilé à un camembert normand alors que nous sommes dans le pays du comté et un étudiant lit « L’huitre » de Francis Ponge. J’ai de l’iode plein la salive.��Puis, e demande à chacun et chacune de s’isoler dans le CDI, de sortir tous les objets de son sac, de les trier par ordre alphabétique, d’écrire leur liste d’objets en ajoutant leurs couleur, forme et matière. Je vole quelques photos de leurs installations. S’ensuit un grand brouhaha où l’on compile tous les objets au tableau, bien sûr le P de préservatif a beaucoup plus de succès que le C de cahier. Des duos sont constitués qui vont improviser et écrire une scène entre les objets, la table sera leur scène. Deux de ces duos jouent et puis… Noooonnn ça sonne, comme une volée de moineaux les élèves repartent nous laissant nous les adultes en tête à tête avec notre frustration. J’ai décidément des difficultés avec la pédagogie et les horaire, ce n’est pas un petit pas de côté qu’il me faudrait faire mais un de sept lieux comme le chat botté.
Après une cigarette interdite fumée en cachette sur une passerelle qui mène nul part, je pars à la conquête d’histoires de sac. J’interviewe Max et son parfum de bête, Ambre et son miroir qui surveille ses boutons d’acné pendant les cours, Rachel et sa Ventoline qui en prend un coup après l’amour, Alice et son dernier paquet de Marlboro (enfin elle espère), puis après le diner in situ, les internes Soline et ses trois porte-clefs dont deux ont les corps cassés et enfin Aurore et son livre qui la fait plonger dans l’océan avec le Prince de Monaco.
L'huître
L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.
Francis Ponge - "Le parti pris des choses" (1942)