Résidence d'écriture - Jour 5
[Journal de résidence d'écriture - Jour 5 - Vendredi 21 février - Lycée Victor Hugo - Besançon - Doubs]
Dernier jour. Je vélote jusqu’au lycée avec en plus de mon sac à dos, deux sacs remplis pour l’un de fringues et pour l’autre de livres et des différents chargeurs (téléphone, ordinateur et vélo).
Pour l’atelier du matin avec des secondes, j’essaie une forme nouvelle : écrire à deux un poème avec en vedette un seul objet tiré de leur sac à dos. Des thèmes douloureux traversent les écrits, mine de rien : solitude, blessures, peur de l’avenir. La professeure de lettres me propose de retravailler avec eux leurs productions après les vacances, je lui réponds que je préfèrerais que cette séance reste « gratos », un moment d’expérience artistique qui s’acoquinerait mal avec une continuité pédagogique. Son regard gris sourit, elle acquiesce. Oui, gratuité et cadeau sont des valeurs peu fréquentées à l’éducation nationale qui prône programme et évaluation.
Je déambule tranquillement dans les couloirs et rejoins la cantine avec mon nouveau livre de poésie péruvienne offert la veille : Comment baise une poète du Comando Plath (du nom de la poétesse américaine). Comme les autres jours, je choisis de rester dans la grande salle des élèves plutôt que dans celle dite « des commensaux » où sont les enseignantes et enseignants. Quitte à être isolée je préfère l’être parmi eux plutôt que parmi des pairs. Être seul au milieu d’étrangers par l’âge ne me procure pas l’attente d’être accueillie que j’aurais avec d’autres adultes. Puis il faut dire au revoir à Dolorès qui ferme le CDI à 13H30, elle a tiré sur ses heures depuis plusieurs semaines, son collègue étant en arrêt maladie, moi aussi j’ai tiré sur les miennes. Nous convenons que nous n’aimons pas les fins et nous enlaçons larmes contenues.
Je ne suis pas habituée à me lever pour aller directement au travail, être dans un même lieu tous les jours, voir les mêmes personnes tous les jours, avoir la même activité tous les jours et rentrer le soir pour me coucher. Les unités d’action, de lieu et de temps chères à la tragédie en alexandrins du XVIIème siècle et définies par Nicolas Boileau m’angoissent alors qu’elles pourraient être des facteurs de stabilité, en cela je vis comme dans l’écriture contemporaine : fragmentée, pluridisciplinaire et en prose.
« Qu'en un jour, qu'en un lieu, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. »
Dans le train du retour vers Lyon je cherche un poème à partir des vers écrits par les élèves du jour : j’en choisis un par texte produit, j’essaie plusieurs ordres possibles, j’en ramasse certains en un seul, j’ajoute un ou deux adverbes, je crée des répétitions, je traque le petit-beau parmi la foison-modeste. C’était donc ça l’objectif de ma résidence d’écriture, comme elle il ne se découvre qu’à la fin.
Parfois, je me porte à l’envers
Je ne vois pas l’avenir alors je le trace
Je calcule mes régressions
Je rends physique le numérique
Je recourbe mes cils pour mieux te calculer
Je pense à ce long trajet pour arriver jusqu’au creux de tes mains
Je pense à ce long trajet pour réparer ton cœur, ton cœur brisé par des moqueries répétées, des moqueries injustifiées
Je prendrai le temps de le déshabiller avec tendresse
Aujourd’hui, avec toi, je ferme définitivement la porte à la peur