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Résidence d'écriture - Jour 1

[Journal de résidence écriture Besançon - Jour 1 Lundi 17 février 2025]

La sonnerie du réveil fait bien son boulot à 7H30, moi moins, je repousse la sortie du lit à 8H. Après un revigorant double expresso bien chaud au bar de l’hôtel, je remonte à la chambre 321 que je confonds avec la 236 de l’EHPAD où séjourne désormais maman. Finalement les différences entre un hôtel de seconde zone et un EHPAD correct sont minimes et dépendent essentiellement de notre point de vue interne. Sur le rebord de la fenêtre Nora est assise comme une statue égyptienne et m’annonce avec un ton neutre parfait « France 3 m’a appelée pour réaliser un reportage sur ta résidence d’écriture à Besac’ ». En un éclair la couleur de la journée se pigmente de bon augure et l’explosion de joie qui suit me fait danser.

Nous aimons l’expédition, Nora sur sa trottinette et moi sur mon vélo filons nez au vent grâce à nos engins électriques, narguant les 4 kilomètres 6 qui séparent le centre ville du lycée Victor Hugo. À l’arrivée nous traversons des immeubles de quelques étages, leur couleur vert-passé vire au vert-pomme dans l’éclat du soleil. « Je me verrais bien y vivre » me dis-je intérieurement.

A l’accueil du lycée il y a Thierry dont les cheveux ne poussent guère mais dont l’immuable sourire est bien frais du jour, et Dolorès. Dolorès est apparemment la professeure documentaliste mais en réalité c’est une fée. C’est la fée qui a réalisé mon rêve : être en résidence d’écriture dans son lycée, où l’an passé j’étais venue avec le Poèmaton (la cabine dans laquelle nous susurrons des poèmes).

La cantine est, nous dit-on, nouvelle. Pour moi c’est la même que l’an passé, mais comme la magie s’est infiltrée dans la journée, je ne cherche pas à démêler le vrai du faux. Je ne cherche plus depuis longtemps, c’est fatiguant et le plus souvent inutile.

Ils et elles arrivent. Timides mais avec un sourire dans les yeux qui ne demande qu’à s’installer sur leurs lèvres. Je sens qu’ils sont en confiance, bien accompagnés par Hamedy et Faten. La séance est, elle aussi, magique et électrique. Notre français éternel est bousculé par d’autres langues maternelles et cela lui donne un coup de jeune : un carnet devient un cahier de petite taille, un téléphone se plaint de trop travailler, un rouge-à-lèvres tombe amoureux, des écouteurs se cacheront dans des oreilles, une paire de lunette orange se reposera sur un nez, un gloss pink embellira une bouche. Ibrahim donne une voix à une montre qui dit l’heure ou qui dealer, on ne saura jamais mais on le croit.

Et puis il y a Motié qui nous susurre les premiers vers de :

Femme noire, femme africaine,

Ô toi ma mère, je pense à toi...

Ô Daman, ô ma Mère,

Toi qui me portas sur le dos,

Toi qui m'allaitas, toi qui gouvernas mes premiers pas,

Toi qui la première m'ouvris les yeux aux prodiges de la terre,

Je pense à toi...

Ô toi Daman, Ô ma mère,

Toi qui essuyas mes larmes,

Toi qui me réjouissais le cœur,

Toi qui, patiemment, supportais mes caprices,

Comme j'aimerais encore être près de toi,

Etre enfant près de toi !

Femme simple, femme de la résignation,

Ô toi ma mère, je pense à toi.

Ô Daman, Daman de la grande famille des forgerons,

Ma pensée toujours se tourne vers toi,

La tienne à chaque pas m'accompagne,

Ô Daman, ma mère,

Comme j'aimerais encore être dans ta chaleur,

Être enfant près de toi...

Femme noire, femme africaine,

Ô toi ma mère,

Merci, merci pour tout ce que tu fis pour moi,

Ton fils si loin, si près de toi.

Femme des champs, femme des rivières

Femme du grand fleuve, ô toi, ma mère je

pense à toi…

Camara Laye (1928_1980)

Extrait du roman L’enfant noir, 1953

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